Comment réussir la fermentation alcoolique de son vin maison?


Comment réussir la fermentation alcoolique de son vin maison?
Merci au Domaine Oak Hill de m'avoir gracieusement fourni cette photo!

Je tiens aussi à exprimer ma gratitude envers Véronique Lemieux qui m'a filé un énorme coup de main en révisant les notions de vinification présentées ici. Pour les personnes intéressées à connaître ses vins, c'est sur Instagram (@les_cuvees_de_veronique) que ça se passe.

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La fermentation alcoolique est, pour la grande majorité des vinificateurs artisanaux, le moment le plus stressant de la fabrication de leur vin maison : Fermentation qui ne démarre pas, manque de vigueur, dégagement d’odeurs bizarres… Bien des problèmes peuvent se produire lors de ces semaines cruciales et déterminantes de la qualité du vin. Or, les ressources en lignes sont éparpillées à travers des sites web de vignoble, de boutiques de vins et de forums sur le sujet. Qui plus est, elles traitent bien souvent que d’un problème à la fois et restent en surface de celui-ci. C’est pour toutes ces raisons qu’un article complet, pratique et exhaustif sur le sujet s'impose.

Pourquoi ma fermentation ne démarre pas?

C’est la situation la plus inquiétante et qui arrive fréquemment aux vinificateurs amateurs n’utilisant pas de levures commerciales. Les causes pouvant être nombreuses, elles sont traitées de la plus probable à la moins probable.

1ère cause : La température de la cuve est trop froide

Il est très fréquent que la température de la cuve soit trop froide pour que la fermentation démarre, surtout si son logis est climatisé ou que la cuve est sur un sol bétonné comme dans un garage. Les levures naturelles sont capricieuses et l’intervalle de température qui leur permet de démarrer rapidement est plus restreint que celles d’origine commerciale : entre 22 et 25 degrés celsius. Ce n’est pas cependant une règle absolue : des fermentations peuvent démarrer dans toutes sortes de conditions à l’extérieur de cet intervalle!

Comment augmenter facilement la température? Sortir la cuve sur le balcon pendant un bel après-midi d’automne afin que le soleil réchauffe naturellement le jus de raisin. Attention à ne pas trop chauffer la cuve, par exemple au-delà de 27 degrés celsius, puisque cela pourrait permettre à d’autres bactéries indésirables de s’activer. Une température au-dessus de 30 degrés celsius pourrait même tuer les levures naturelles.

La fermentation pourrait également démarrer en bas de ces températures mais, selon les cas, elle pourrait s’avérer trop lente et donc permettre la prolifération d’autres levures ou bactéries indésirables (voir section « Pourquoi ma fermentation dégage une odeur étrange ou a l’air bizarre? »). Un exemple probant est la levure brettanomyces, aussi appelée « Brett », qui produit l’odeur typique de « cuir mouillé » et de « cheval », caractéristique de certains vins natures. La vitesse de la fermentation est ici la meilleure arme du vinificateur artisanal contre la Brett puisqu’une fois que les levures naturelles seront en fermentation optimale, elles s'accaparent tout le sucre disponible.

2ème cause : Les levures naturelles ont été éliminées par erreur

Les levures naturelles sont capricieuses et peuvent avoir été éliminées par erreur de plusieurs manières :

  • Un rinçage abusif des raisins : Les levures se situent sur la peau des raisins et donc un rinçage va inévitablement en éliminer les levures. Il vaut mieux retirer les baies contaminées (insecte, champignon, etc.) d’une grappe que d’essayer de la rincer.
  • Une température mésadaptée : La température de la cuve peut avoir été trop haute (au-dessus de 30 degrés celsius) ou bien avoir été basée sur une trop longue période, par exemple lors d’une macération effectuée dans un réfrigérateur.
  • Un sulfitage mal maîtrisé : Les sulfites étant facilement disponibles et peu coûteux, il est aisé d’en ajouter à son jus pour toutes sortes de raisons. Or, une erreur dans le calcul de concentration et les levures en seront inévitablement affectées.
  • Un traitement phytosanitaire tardif : Ces traitements visent à préserver le raisin de diverses maladies et sont généralement arrêtés au moins 2 semaines avant la vendange. Or, un événement exceptionnel à quelques jours de la vendange, tel que de la grêle, va nécessiter un traitement qui affectera la capacité des levures naturelles à fermenter correctement.
 
Tranche de vie

C’est lors de la fermentation de mon tout premier vin que j’ai réalisé l’importance de la température. Nous avions récolté 3 chaudières de raisins chez ma voisine et j’étais resté avec trop de litres de jus de raisin pour que je puisse le boire. Après une semaine dans mon réfrigérateur, j’avais encore 5 litres! Or, la fermentation ne démarrait pas car ce long passage au réfrigérateur avait éliminé toutes les levures naturelles. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’ajouter des levures commerciales.

Si l’un de ces scénarios apparaît probable ou que la cuve a déjà été sortie lors d’un bel après-midi ensoleillé comme suggéré dans le précédent paragraphe et que rien ne passe, les levures sont probablement mortes. Pas de panique! N’importe quelle boutique de vinification ou de brassage de bière propose des levures commerciales. Concernant la variété à utiliser, je conseille la Lalvin 71B qui est adaptée à des vins nouveaux comme ce que sont une bonne partie des vins maisons.

Enfin, voici une procédure permettant d’activer des levures sèches commerciales à tout coup :

  1. Rincer tout le matériel à l’eau bouillante et le sécher avec des essuis-tout neufs afin de le stériliser.
  2. Mesurer 0.2 grammes de levure par litre de jus. Un sac de 5 grammes suffit donc à 25 litres.
  3. Chauffer entre 38 et 40 degrés celsius un volume d’eau de source embouteillée (le chlore présent dans l’eau du robinet pourrait nuire aux levures) équivalent à 10 fois le poids des levures. Par exemple, 5 grammes requièrent 50 millilitres d’eau.
  4. Saupoudrer les levures dans l’eau et attendre 15 minutes sans remuer.
  5. Mélanger doucement après 15 minutes avec la cuillère stérilisée jusqu’à obtention d’un liquide brun.
  6. Ajouter une quantité équivalente de jus de raisin au liquide brun puis attendre 15 minutes de plus. En reprenant l’exemple, ce serait 50 millilitres de jus qu'il faudrait ajouter.
  7. Verser les levures désormais activées dans la cuve contenant le jus de raisin et brasser vigoureusement afin que les levures soient bien réparties.

D’ici 24 heures, la fermentation aura débuté et sera reconnaissable par la formation d’une mousse à la surface du jus ainsi que le dégagement d’une odeur fruitée et de gaz carbonique (CO2).

3ème cause : Le jus de raisins est trop sucré

C’est plutôt rare - et encore plus au Québec étant donné notre climat! - mais il arrive que le degré Brix du raisin, abrégé Brix, c'est-à-dire le nombre de grammes de sucre par 100 grammes de liquide, soit si élevé qu’il nuise à la fermentation. Ceci est à surveiller lorsqu’un raisin supérieur à 26° Brix est cueilli. C’est grâce à un réfractomètre qu’il est possible de mesurer le Brix d’un raisin directement dans le champ!

Dans cette éventualité, il y a plusieurs options à considérer :

  • Ajouter au jus de l’eau de source embouteillée : Ceci permettra de le ramener aux alentours de 23° Brix. En effet, l’eau dilue le sucre! Attention à ne pas répéter cette pratique dans un vignoble car il est illégal, au Québec, pour tout détenteur d’un permis de la RACJ, de diluer son jus de raisin avec de l’eau, sauf quelques rares exceptions.
  • Ajouter une levure commerciale résistante au sucre : Comme de nombreux problèmes de vinifications, les levures commerciales ont une solution à proposer et elle s’appelle ici la Lalvin EC-1118, laquelle tolère un impressionnant 18% d’alcool par volume avant d’être inefficace.
  • Accueillir à bras ouverts son prochain vin doux : Si tout le sucre n’est pas transformé, ce n’est pas grave : il n'en sera pas moins délicieux. Le vin en résultant sera un vin dit « doux » car contenant une bonne quantité de sucre résiduel. Il faudra toutefois prévenir ce qu’on appelle une « refermentation », laquelle pourrait se déclencher dans la bouteille dans les mois à venir. Pour ce faire, deux possibilités :
    • Méthode naturelle : Conserver le vin dans un cellier ou un réfrigérateur ; et
    • Méthode conventionnelle : Sulfiter à hauteur de 50 milligrammes par litre.
     
 

Si le Brix n’est pas mesuré dans le champ, alors il faudra mesurer la densité spécifique du jus une fois pressé avec un densimètre. C’est aussi un outil fort utile afin de déterminer si la fermentation est terminée. Ces 2 mesures déterminent, par ailleurs, le potentiel d’alcool : si l’entièreté du sucre d’un vin à 26° Brix ou 1.1103 de densité spécifique est fermenté, alors un vin à 15.9% d’alcool par volume sera obtenu. Pour d’autres conversions, j’ai ajouté ci-bas un tableau afin de vous faciliter la vie.

Degré Brix

Densité spécifique

% d'alcool potentiel

18

1.0741

10.1

19

1.0785

10.8

20

1.0830

11.5

21

1.0875

12.2

22

1.0920

12.9

23

1.0965

13.6

24

1.1011

14.4

25

1.1057

15.1

26

1.1103

15.9

4ème cause : Le jus de raisins est trop acide

C’est extrêmement rare que cela se produise et à vrai dire, je n’ai jamais rencontré quelqu’un à qui cela était arrivé. Pour preuve, mon ami Étienne réussit chaque année - sans intervention - à faire fermenter du vitis riparia, c’est-à-dire la vigne sauvage d’Amérique du Nord, laquelle est très acide étant donné sa rusticité. L’acidité peut cependant être un élément stressant pour les levures naturelles qui, lorsque combiné à d’autres causes telles qu’une température trop basse ou un degré Brix élevé, peut nuire à la fermentation. Il n’y a pas grand chose à faire outre mesurer le pH de son jus grâce à des bandelettes de test pH et agir sur les autres facteurs : un pH normal se situe entre 3.2 et 3.6. Attention! Ces bandes ne fonctionnent pas avec du vin rouge.

Pourquoi ma fermentation est-elle lente ou manque de vigueur?

La fermentation a démarré mais celle-ci est très lente voir bloquée. Le symptôme de ce phénomène est facilement mesurable : une densité spécifique, qui diminue normalement de jour en jour lors d’une fermentation optimale, demeure presque identique après plusieurs jours. Pour régler cela, quelques solutions :

  • Augmenter la température du jus : Comme mentionné précédemment, ne pas hésiter à sortir la cuve sur le balcon lors d’un bel après-midi ensoleillé car la température normale d’une maison, aux alentours de 20 degrés celsius, peut être la cause du ralentissement ou du blocage. Si cela règle le problème, rentrer la cuve à l’intérieur et la laisser dans une pièce chauffée entre 22 et 25 degrés celsius.

  • Brasser le jus (attention à utiliser un instrument stérile!) : Ceci permet d’introduire un peu d’oxygène - à préconiser lorsque la densité spécifique est encore élevée - tout en remontant les lies, lesquelles sont en fait des levures devenues inactives. Le brassage permet aussi d'homogénéiser la température du jus.

  • Vérifier la densité spécifique en continu : Idéalement à chaque jour afin de s’assurer que la fermentation se produit bel et bien. Normalement, chaque mesure devrait être différente. Une fois la densité spécifique en bas de 1.000, idéalement entre 0.9950 et 0.9980, la fermentation est terminée.

 
 

Tranche de vie

C’est en faisant fermenter 2 touries, lesquelles allaient mener à astrofizz et oxymarc, que j’ai dû solutionner un enjeu de fermentation stagnante. En effet, la densité spécifique était à 1.070 depuis presque une semaine. Le logement de mon ami Gabriel, climatisé à 21 degrés celsius, était alors notre principal suspect. Il aura fallu sortir les 2 touries pendant un après-midi sur son balcon, pleinement exposé au soleil, pour que la fermentation reprenne de la vigueur. Quelques jours plus tard, la densité spécifique affichant 0.996 marquait la fin de la fermentation.

Pourquoi ma fermentation dégage une odeur étrange ou a l’air bizarre?

C’est malchanceux, mais il arrive qu’un jus soit contaminé par des bactéries et levures indésirables, sur lesquelles les levures naturelles n’arrivent pas à prendre le dessus. J’ai rassemblé à cette fin les signes à observer ainsi que les différentes solutions dans le tableau suivant, classés par la gravité du micro-organisme impliqué.

Symptômes visuels

Symptômes olfactifs et gustatifs

Micro-organisme en cause

Remède à privilégier

Aucun ou jus très légèrement trouble

Odeurs de cuir, d’écurie, de clou de girofle, goût âcre

Levures Brettanomyces (« Brett »)

Ne rien faire! Cela fera partie de la cuvée et de son histoire

Jus trouble blanchâtre, parfois des filaments

Odeur de beurre rance, de yaourt, goût gras ou fromager

Bactéries lactiques

Accepter le défaut s’il n’y a pas de goût vinaigré ou attendre la fin de la fermentation puis sulfiter à hauteur de 50 milligrammes par litre

Film visqueux en surface, bulles anormales même après la fin de la fermentation

Odeur de vinaigre, de solvant, pique en bouche

Bactéries acétiques

Immédiatement sulfiter à hauteur de 50 milligrammes par litre et couper tout contact avec l’oxygène. Dans les pires cas, il se peut que la cuvée doive finir en vinaigre

Film blanc, gris ou verdâtre en surface

Odeur de moisi, de champignon ou de terre humide

Moisissures

Retirer tout le film sans mélanger puis sulfiter à hauteur de 50 milligrammes par litre. Il y a de fortes chances que la cuvée doive malgré tout être jetée

En conclusion : Les pratiques à privilégier

Quelques pratiques sont à privilégier afin de prévenir tous ces maux et ainsi garantir une fermentation sans problème. Les voici :

  • Surveiller en continu la fermentation : À chaque jour il faut mesurer la densité, vérifier la température dans la pièce et, idéalement, goûter le jus en pleine transformation afin de détecter tout problème avant qu’il ne s’aggrave.
  • Sulfiter légèrement le jus de raisin pressé : Même les vignerons peu interventionnistes vont aujourd’hui ajouter jusqu’à 10 milligrammes de sulfites par litre avant que la fermentation ne débute. Cette quantité est si minime qu’elle va même être indétectable en laboratoire! Malgré cela, elle est suffisante pour « calmer » les micro-organismes indésirables et permettre aux levures naturelles de rapidement prendre le dessus sur ces derniers. Pour savoir comment introduire la bonne quantité de sulfites, l’inscription à mon infolettre est de mise puisque je publierai prochainement un article dédié sur le sujet.
  • Maintenir une hygiène irréprochable : Les micro-organismes indésirables sont partout et n’attendent que d’être transportés vers le jus par mégarde ou manque de rigueur. Il faut donc vinifier dans un endroit propre avec des outils stériles.
 
 

Voilà, tout a été dit. Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre que ça fermente! Pour être informé du reste...

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